VHS 2
Une chose que les jeunes d'aujourd'hui ne connaîtront jamais : la frustration associée à l'impossibilité de dénicher un film. Quand j'étais jeune, disons dans les années 89-94, période post-primaire, les Media Blasters (Shriek Show, Tokyo Shock), Grindhouse Releasing, Blue Underground et autres Anchor Bay n'existaient pas. Et encore moins le DVD. Internet en était à ses premiers balbultiements, et donc le seul moyen à ma disposition pour assouvir ma soif de films d'horreur était la lecture : acheter des revues spécialisées (Fangoria, Gorezone, Mad Movies) et, l'option la moins intéressante, emprunter des livres à la bibliothèque. Je dis moins intéressante puisque ces derniers traitaient surtout d'horreur dite mainstream, à savoir les Dracula, Frankenstein et momies, et quelques fois de Jason et de Freddy, pour les maisons d'édition les plus « téméraires ».
Mais moi, ce qui m'intéressait, c'était l'abject, l'ignoble, l'infect, l'odieux, le révoltant. Et chacun de ces adjectifs se traduisait de la même façon : Italia.
Je faisais même affaires avec une compagnie américaine, Midnight Video, qui s'amusait à retracer le master de films réputés comme étant introuvables, à en faire des copies sur VHS et à les vendre 20$ US. Le film arrivait par la poste, dans une belle pochette noire et beige Maxell T-120 P/I PLUS, pas de photos, pas de couleurs, et le seul moyen d'identifier le film était de lire l'autocollant apposé sur la cassette et sur lequel était inscrit, à la machine à écrire svp, le titre et le nom du réalisateur. Mais putain, qu'est-ce que je pouvais me foutre de ce manque d'emballage attrayant! C'était pour moi le seul moyen de voir enfin Incubo sulla città contaminata (Umberto Lenzi - 1980), Le notti del terrore (Andrea Bianchi - 1981), Buio Omega (Joe D'Amato - 1979) et autres Flavia, la monaca musulmana (Gianfranco Mingozzi - 1974). Tous ces films étaient 20$.
Tous? Non.
Anthropophagus (aka Anthropophagous: The Beast, Antropofago, Man Beast, The Grim Reaper, The Savage Island, The Zombie's Rage, etc.), 1980, de Joe D'Amato (aka environ une trentaine de pseudonymes), avec George Eastman et Tisa Farrow. Oui, la soeur de l'autre.
La pochette originale, qui trônait à mon
club vidéo dans les années 80.
Évidemment, cette pochette fut pour moi une source de traumatisme tout au long de ma jeunesse. Chaque fois que j'allais au club vidéo avec mon père pour louer le premier Rambo, un vieux Charles Bronson ou Les Goonies, je ne pouvais m'empêcher de la regarder (ainsi que celle juste à côté, tout aussi impressionante, de L'Opéra de la terreur; mais ça, c'est une autre histoire). À 8 ans, j'ai décidé que j'étais assez vieux et que le temps était venu pour moi de voir Anthropophagus. Armé du petit jeton bleu (bleu pour Béta, rouge pour VHS) et de tout mon courage, je me dirige vers mon père et le lui tends.
Il regarde le numéro, fait quelques pas, se dresse devant la section Horreur, trouve la pochette en question, voit le joli dessin.
Fuck, on a encore loué Les Goonies.
Anthropophagus, chez Midnight Video, était 25$ US. Le seul film de tout leur catalogue qui était 5$ plus cher que TOUS les autres (une bonne centaine, et des très bons). Pourquoi? Parce que le film était complet, incluant LA scène qui fait trembler tous les minables censeurs de ce monde : celle où le grand cannibale (George Eastman, parfait) étrangle une femme enceinte. C'est tout? Non. Il rentre son bras dans la madame, jusqu'au coude, fouille, en sort le foetus (cordon et tout le tralala), le regarde et prend une bouchée. Le tout sous les yeux horrifiés du mari, et donc père de la collation, qui s'écroule, poignardé qu'il fut par le dégénéré. Ouf. Il me fallait trouver ce film.
Une belle carte postale à envoyer à grand-mère.
On est au début des années 90, plus aucun club vidéo n'a le film sur ses tablettes. J'ai fait le tour des clubs de Laval; ils l'ont soit perdu, soit vendu, soit brûlé. Je ne le verrai jamais, je dois le commander. Environ 45$ CAN, avec taxes et frais de toutes sortes. J'étais à l'époque camelot pour La Presse : tant pis, mon salaire annuel allait y passer.
Un soir comme un autre, je me rends au défunt Club International, coin Concorde et Notre-Dame-de-Fatima. Je loue je ne sais quel film sans intérêt, et m'apprête à sortir. Un dessin m'appelle. Ok, je ne l'entends pas, mais je le vois, flou, du coin de l'oeil. Non. Pas vrai.
3,95$.
J'arrive chez moi; je n'enlève même pas mon manteau, je n'appelle pas ma blonde, je suis en transe. La cassette dans le vidéo, mes fesses sur mon lit, mes yeux rivés à l'écran. 1h30 de pur bonheur. La copie est intacte, en français, non censurée, et la scène du foetus y est! In your face, Midnight Video! Le gars au club vidéo m'a dit que son boss avait retrouvé « ce vieux film d'horreur à chier » chez lui, dans sa cave (un restant d'inventaire d'un club en faillite à Ste-Hyacinthe). Ce qu'il ne sait pas, c'est que ce film, avec la pochette originale, valait beaucoup plus que quatre dollars et des poussières.
Aujourd'hui, le film est toujours dans mon étagère. Un item de collection qui n'a pas de prix, et dont je ne me départirais pas pour tout l'(h)or(reur) du monde.
Une chose que les jeunes d'aujourd'hui ne connaîtront jamais : cette douce folie qui entourait, jadis, la recherche d'un film de fou.
Une chose que les jeunes d'aujourd'hui ne connaîtront jamais : la frustration associée à l'impossibilité de dénicher un film. Quand j'étais jeune, disons dans les années 89-94, période post-primaire, les Media Blasters (Shriek Show, Tokyo Shock), Grindhouse Releasing, Blue Underground et autres Anchor Bay n'existaient pas. Et encore moins le DVD. Internet en était à ses premiers balbultiements, et donc le seul moyen à ma disposition pour assouvir ma soif de films d'horreur était la lecture : acheter des revues spécialisées (Fangoria, Gorezone, Mad Movies) et, l'option la moins intéressante, emprunter des livres à la bibliothèque. Je dis moins intéressante puisque ces derniers traitaient surtout d'horreur dite mainstream, à savoir les Dracula, Frankenstein et momies, et quelques fois de Jason et de Freddy, pour les maisons d'édition les plus « téméraires ».
Mais moi, ce qui m'intéressait, c'était l'abject, l'ignoble, l'infect, l'odieux, le révoltant. Et chacun de ces adjectifs se traduisait de la même façon : Italia.
Je faisais même affaires avec une compagnie américaine, Midnight Video, qui s'amusait à retracer le master de films réputés comme étant introuvables, à en faire des copies sur VHS et à les vendre 20$ US. Le film arrivait par la poste, dans une belle pochette noire et beige Maxell T-120 P/I PLUS, pas de photos, pas de couleurs, et le seul moyen d'identifier le film était de lire l'autocollant apposé sur la cassette et sur lequel était inscrit, à la machine à écrire svp, le titre et le nom du réalisateur. Mais putain, qu'est-ce que je pouvais me foutre de ce manque d'emballage attrayant! C'était pour moi le seul moyen de voir enfin Incubo sulla città contaminata (Umberto Lenzi - 1980), Le notti del terrore (Andrea Bianchi - 1981), Buio Omega (Joe D'Amato - 1979) et autres Flavia, la monaca musulmana (Gianfranco Mingozzi - 1974). Tous ces films étaient 20$.
Tous? Non.
Anthropophagus (aka Anthropophagous: The Beast, Antropofago, Man Beast, The Grim Reaper, The Savage Island, The Zombie's Rage, etc.), 1980, de Joe D'Amato (aka environ une trentaine de pseudonymes), avec George Eastman et Tisa Farrow. Oui, la soeur de l'autre.
La pochette originale, qui trônait à mon
club vidéo dans les années 80.
Évidemment, cette pochette fut pour moi une source de traumatisme tout au long de ma jeunesse. Chaque fois que j'allais au club vidéo avec mon père pour louer le premier Rambo, un vieux Charles Bronson ou Les Goonies, je ne pouvais m'empêcher de la regarder (ainsi que celle juste à côté, tout aussi impressionante, de L'Opéra de la terreur; mais ça, c'est une autre histoire). À 8 ans, j'ai décidé que j'étais assez vieux et que le temps était venu pour moi de voir Anthropophagus. Armé du petit jeton bleu (bleu pour Béta, rouge pour VHS) et de tout mon courage, je me dirige vers mon père et le lui tends.
Il regarde le numéro, fait quelques pas, se dresse devant la section Horreur, trouve la pochette en question, voit le joli dessin.
Fuck, on a encore loué Les Goonies.
Anthropophagus, chez Midnight Video, était 25$ US. Le seul film de tout leur catalogue qui était 5$ plus cher que TOUS les autres (une bonne centaine, et des très bons). Pourquoi? Parce que le film était complet, incluant LA scène qui fait trembler tous les minables censeurs de ce monde : celle où le grand cannibale (George Eastman, parfait) étrangle une femme enceinte. C'est tout? Non. Il rentre son bras dans la madame, jusqu'au coude, fouille, en sort le foetus (cordon et tout le tralala), le regarde et prend une bouchée. Le tout sous les yeux horrifiés du mari, et donc père de la collation, qui s'écroule, poignardé qu'il fut par le dégénéré. Ouf. Il me fallait trouver ce film.
Une belle carte postale à envoyer à grand-mère.
On est au début des années 90, plus aucun club vidéo n'a le film sur ses tablettes. J'ai fait le tour des clubs de Laval; ils l'ont soit perdu, soit vendu, soit brûlé. Je ne le verrai jamais, je dois le commander. Environ 45$ CAN, avec taxes et frais de toutes sortes. J'étais à l'époque camelot pour La Presse : tant pis, mon salaire annuel allait y passer.
Un soir comme un autre, je me rends au défunt Club International, coin Concorde et Notre-Dame-de-Fatima. Je loue je ne sais quel film sans intérêt, et m'apprête à sortir. Un dessin m'appelle. Ok, je ne l'entends pas, mais je le vois, flou, du coin de l'oeil. Non. Pas vrai.
3,95$.
J'arrive chez moi; je n'enlève même pas mon manteau, je n'appelle pas ma blonde, je suis en transe. La cassette dans le vidéo, mes fesses sur mon lit, mes yeux rivés à l'écran. 1h30 de pur bonheur. La copie est intacte, en français, non censurée, et la scène du foetus y est! In your face, Midnight Video! Le gars au club vidéo m'a dit que son boss avait retrouvé « ce vieux film d'horreur à chier » chez lui, dans sa cave (un restant d'inventaire d'un club en faillite à Ste-Hyacinthe). Ce qu'il ne sait pas, c'est que ce film, avec la pochette originale, valait beaucoup plus que quatre dollars et des poussières.
Aujourd'hui, le film est toujours dans mon étagère. Un item de collection qui n'a pas de prix, et dont je ne me départirais pas pour tout l'(h)or(reur) du monde.
Une chose que les jeunes d'aujourd'hui ne connaîtront jamais : cette douce folie qui entourait, jadis, la recherche d'un film de fou.
3 commentaires:
Je croirais lire un épisode de ma propre vie !
C'est drôle qu'on ait évoqué le cinéma italien trash le même jour, dear BenjamANT. J'ai comme l'impression qu'on se connaît.
Le Club International dont tu parles, est-ce que c'est celui où travaillait Patrick Bonin et qui a brûlé quand les italiens - tiens, encore eux ! - du Vidéo Super Choix non loin ont foutu un cocktail molotov dans la chute de nuit ?
Si oui, j'avais loué cinq films pour une semaine quelques jours avant, et j'ai encore la plupart d'entre eux ici. Je suis pas mal certain qu'ils ne s'attendent guère plus à ce que je les ramène !
Si non, l'anecdote vaut tout de même son pesant de cacaouètes !
Celui-là même. Depuis maintenant 10 ans, chaque fois que je passe devant la minable petite pharmacie dans laquelle jamais personne n'a mis les pieds, je me maudis de ne pas avoir, justement, loué 5 films, 4 jeux Nintendo et une caméra vidéo cette fatidique dernière journée du Club.
Et en effet, les Italiens du Super Choix ont fait le coup. Un certain Tony, gérant/employé/cleaner qui y travaillait à l'époque, l'homme au Chevrolet Blazer noir qui transportait plus de corps inanimés vers le fleuve que d'autres choses, m'avait avoué le fait de façon plus ou moins subtile,...
Mais toi, Mister Brown, à avoir vraiment loué 5 films juste avant l'incendie d'origine, hum, suspecte, c'est louche! Avoue que Tony n'était que ton pantin, ton exécutant! haahahhaha :)
J'avoue !! J'ai fait ça uniquement pour les beaux yeux de Barbara Steele dans LE SILENCE QUI TUE :-)
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